Témoignage. Son mari lui cache son addiction à la cocaïne pendant 15 ans : « Je me sentais coupable de n’avoir rien vu »

Série : les mensonges qui détruisent une famille [3/4] - On pense souvent bien connaître ses parents, son conjoint, ses amis. Et pourtant, parfois, une révélation suffit à faire voler en éclats des années de complicité et de confiance. Une liaison cachée, une double vie, un secret familial… Dans cette série de témoignages, des femmes et des hommes racontent le moment où tout a basculé pour eux. Aujourd’hui, l’histoire de Camille, qui a découvert que son mari avait une addiction à la drogue pendant 15 années de vie commune.
Connaît-on vraiment les gens qui partagent notre vie ? À l’aube de la soixantaine, Camille (*) ne se pose plus la question, trahie par son ex-conjoint. Camille a rencontré celui qui allait devenir son mari dans la trentaine. Ils travaillent tous deux dans le secteur de l’événementiel en Rhône-Alpes et se sont croisés dans ce cadre-là. Un milieu où on ne compte pas ses heures et où les horaires peuvent être très variables. « C’est aussi un environnement qui donne beaucoup d’adrénaline et d’émotions fortes, en termes de pression et de satisfaction du projet, de l’événement mené », constate-t-elle. Tous les deux ont des emplois intenses, qui leur apportent un niveau de vie confortable.
En couple, ils s’installent ensemble, achètent une maison, se marient et ont trois enfants. « Jusque-là, nous avions une vie de famille tout à fait normale, avec des hauts et des bas comme tout le monde peut en avoir », décrit Camille. Pourtant, le comportement de son mari change peu à peu au fil des années. « Il était plus fatigué, plus agressif. Nous glissions vers une forme d’isolement, nous ne recevions plus personne et nous ne sortions plus. Il n’en manifestait pas l’envie, avait besoin de calme mais dès que nous étions ensemble, ça n’allait plus non plus. Il y avait quelque chose qui ne collait plus avec la personne que je connaissais. On ne pouvait pas toujours tout mettre sous le poids de la charge de travail », se remémore-t-elle.
C’est lors d’un voyage en famille que le comportement du mari de Camille provoque un premier tremblement de terre. « Il a été particulièrement méchant avec l’un de nos enfants. Nous nous sommes expliqués et il a décidé de rentrer à la maison, seul. J’ai compris à ce moment-là que quelque chose n’allait pas dans son comportement », se souvient-elle.
Trahi par son compte en banqueL’autre élément déclencheur sera un coup de fil du banquier sur le téléphone fixe de la famille. Celui-ci informe Camille que leur crédit immobilier n’est plus remboursé depuis plusieurs mois et que la situation n’a toujours pas été réglée malgré les courriers recommandés et les échanges avec son mari. « Ça a été un coup de massue, car je n’avais jamais été mise au courant de cette situation. Mon mari me soutenait que c’était une erreur de la banque », raconte-t-elle. Elle prend donc rendez-vous avec son banquier et s’y rend avec son mari. Le couple dispose d’un compte commun pour régler le crédit et les dépenses de la famille et un compte personnel chacun.
« Devant notre situation avec des revenus confortables et seulement un crédit à rembourser, le banquier ne comprenait pas et moi non plus, puisque je continuais d’alimenter normalement le compte commun. J’ai donc vérifié nos relevés en rentrant et je me suis aperçue qu’il ne versait plus rien depuis un an. Je l’ai confronté et c’est là qu’il m’a avoué qu’il prenait de la cocaïne depuis 15 ans et qu’il allait en prendre de plus en plus car il vieillissait et était de plus en plus fatigué », se remémore Camille. Elle comprend enfin d’où viennent les problèmes d’argent du couple, qui pouvaient facilement être dissimulés, dans un foyer aux revenus confortables. « J’avais imaginé une addiction aux jeux d’argent, mais la drogue, c’est un scénario que je n’aurais jamais pu envisager », assure-t-elle. « Pour moi, quelqu’un qui prenait de la drogue était une personne en difficulté. Là, je comprends que l’addiction à la cocaïne frappe aussi les cols blancs et des personnes qui, en apparence, vont physiquement bien. »
S’ensuit une période où celui-ci promet de se soigner et de tout faire pour lutter contre son addiction. Camille encaisse le choc et le mensonge de son mari, qu’elle connaît depuis plus de 20 ans mais qui lui a caché ce secret pendant 15 années. « C’est très confus, je suis avec un homme que j’aime, qui me dit souffrir, qui me parle de rédemption, de se soigner, de retrouver une vie de famille harmonieuse. Je me dis qu’il a fait le plus dur, il m’a avoué son secret et désormais, nous allons reprendre le dessus », espère-t-elle. Mais tout ne se passe pas aussi facilement.
Son mari promet des soins, des participations à des groupes de parole, des cures de désintoxication, mais il veut se soigner seul. « Il est resté très secret et très distant sur comment il allait s’y prendre, et ne voulait pas que j’intervienne. J’ai respecté son choix et je ne voulais pas l’infantiliser. » Dès le lendemain de la révélation, il fait une décompensation, plonge dans l’alcool et commence à boire quotidiennement. « C’était une deuxième trahison, il n’allait pas s’en sortir et notre famille non plus. Pour moi, ce qui était très troublant, c’était d’avoir été écartée pendant toutes ces années de ce qu’il vivait. Je me sentais évidemment coupable de n’avoir rien vu, et je n’avais pas envie de le lâcher alors qu’il plongeait, mais en réalité, je ne sais même pas s’il s’est vraiment soigné », avoue-t-elle.
« Tout est possible, même les aspects les plus dangereux »Après plus de deux ans à tenter de sortir la tête de l’eau, plusieurs essais infructueux de son mari pour rentrer en cure et devant un comportement qui se dégrade, Camille décide de se protéger et de protéger ses enfants de cette descente aux enfers. « J’ai mis ses affaires dans la voiture et j’ai demandé le divorce. Au départ, ma priorité était de soutenir mon mari, mais lorsque mes enfants m’ont exprimé le fait qu’ils ne voulaient pas rester avec lui, j’ai compris que les victimes, ce sont eux, et que mon mari n’était pas sur le chemin de la rédemption, au contraire. »
À l’aube de la soixantaine, Camille se reconstruit désormais, entourée de ses enfants, qui ne voient que ponctuellement leur père. Elle garde des contacts sporadiques avec son ex-mari : « ce qui m’importait, c’était notre vie de famille. Désormais, ses problèmes d’addiction ne sont plus les miens, je ne lui pose plus de questions », affirme-t-elle, tout en étant reconnaissante d’avoir été épaulée par sa famille et ses amis dans cette épreuve, à qui elle n’a rien caché. « Une longue thérapie m’a permis d’accepter mon aveuglement durant toutes ces années », poursuit-elle. « Quand on découvre un tel secret au bout de tant d’années de vie commune, quelque chose s’effondre, on se dit qu’on ne se connaît pas vraiment et que tout est possible, même les aspects les plus dangereux. Il n’a jamais hésité à mettre en péril notre équilibre financier pour acheter de la cocaïne ou à mentir ouvertement à notre banquier. »
Plusieurs années après son divorce, elle garde des séquelles de ce long mensonge, notamment dans sa relation avec les hommes. « La confiance est le ciment d’un couple, mais il m’est aujourd’hui impossible d’avoir ce lâcher-prise et d’envisager une quelconque relation avec un nouveau compagnon », soupire Camille. Une page a été tournée mais il lui faudra encore du temps pour digérer ses années de secret.
(*) Prénom d’emprunt.
Le Progres


