Le microféminisme fonctionne-t-il ? : « Quand j’entends des blagues sexistes, je demande souvent simplement : « Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » »

Les hommes qui s'assoient jambes écartées et occupent deux sièges dans le métro, ou qui s'attendent à ce que vous riez à leur blague sexiste « amusante » – des situations que toutes les femmes connaissent. On peut les contrer avec le microféminisme. Ça a l'air gentil, mais c'est beaucoup à gérer, comme le dit l'auteure Evelyn Höllrigl Tschaikner.
Il n'est pas toujours nécessaire de grands gestes féministes pour provoquer un changement durable, affirme Evelyn Höllrigl Tschaikner. Même de petites actions peuvent faire bouger les choses. Elle a rassemblé 199 idées pour illustrer ce que cela pourrait donner dans son récent livre, « The Daily Feminist ». Dans un entretien avec BRIGITTE, l'auteure et journaliste explique précisément ce qu'implique le microféminisme et pourquoi le « féminisme à emporter » ne doit pas être sous-estimé.
BRIGITTE : Le microféminisme paraît si banal et insignifiant. Quand avez-vous réalisé qu'il y avait plus que ça ?Evelyn Höllrigl Tschaikner : Surtout au vu des réactions. Quand j'ai commencé à parler de microféminisme sur Instagram, les premières publications tournaient autour de la rupture des rôles – par exemple, tenir la porte aux hommes ou leur offrir des fleurs. Beaucoup ont perçu cela comme de l'agression ou l'ont perçu comme une microagression. C'est seulement à ce moment-là que j'ai vraiment réalisé combien de situations du quotidien que nous tenons pour acquises sont en réalité pleines de sens et passent inaperçues.
Souvent, ces petites choses contiennent beaucoup de puissance explosive.Absolument ! Beaucoup de gens n'accordent d'importance qu'à ce qui est grand et bruyant – à mon avis, c'est une mentalité patriarcale. Même les petites choses peuvent avoir une grande importance et sont tout à fait légitimes.
Pouvez-vous donner des exemples d’actions féministes petites mais efficaces ?Le plus important pour moi, c'est le langage : c'est un outil puissant pour le microféminisme. Par exemple, je parle de « drama king » plutôt que de « drama queen ». De telles réflexions mettent en lumière les déséquilibres. Je trouve aussi utile de répondre avec humour, par exemple quand quelqu'un dit qu'il y avait autrefois de « vrais hommes » ; je me souviens alors de l'époque où les hommes portaient des perruques et se poudraient. L'ironie peut grandement alléger les choses. Je pense aussi que le microféminisme implique d'apprendre à voir consciemment le monde à travers cette perspective patriarcale.
Qu'est-ce que tu veux dire par là ?Par exemple, reconnaître que nos routes ne sont pas conçues pour les femmes. Beaucoup de rues sont mal éclairées, et les femmes s'y sentent mal à l'aise. Souvent, nous ne les voyons pas, car nous avons simplement grandi avec. Mais quand nous les reconnaissons, cela a un impact sur nous.
Lorsqu'on parle de féminisme, beaucoup ont tendance à évoquer des gestes grandioses et des luttes politiques. Comment intégrer efficacement les thèmes féministes au quotidien ?Le féminisme est un mot qui résonne pour beaucoup en dehors de notre « bulle », parfois même un gros mot. C'est précisément pourquoi le féminisme accessible est important. Le microféminisme nous montre où le patriarcat est à l'œuvre partout, au bureau, dans le métro ou au dîner de famille. Il fonctionne en pointant délibérément les inégalités. Si le microféminisme n'est pas une solution aux problèmes structurels, il peut sensibiliser au monde réel, partout.

Je peux comprendre. Personnellement, j'ai du mal à aborder directement des inconnus. Mais récemment, j'ai vécu une situation similaire dans le train : un homme a étiré ses jambes, me laissant trop de place. À un moment donné, je le lui ai fait remarquer, poliment mais fermement, et il les a retirées. Je pense que beaucoup d'hommes ne sont même pas conscients de leur comportement. Ils ont appris qu'ils ont droit à cet espace. Ce n'est pas facile de sortir de sa zone de confort et de se faire remarquer. Mais c'est précisément ce qui peut déclencher un changement.
La critique revient souvent : pourquoi devrions-nous, nous les femmes, attirer l’attention sur cela ?La question est légitime. C'est épuisant de devoir si souvent souligner les griefs – et d'être perçues comme agaçantes pour cela. Mais si nous restons silencieuses, rien ne change. Il est important d'être la « féministe agaçante » pour que les choses bougent. Si quelqu'un peut s'asseoir jambes écartées et est incroyablement à l'aise, il ne changera pas, car il prend deux fois plus de place. Il ne le remarque pas.
On reproche souvent au féminisme de construire des murs au lieu de les abattre. On dit aussi qu'il déteste les hommes. Qu'en pensez-vous ?Le féminisme ne consiste pas à ériger des murs et à considérer tous les hommes comme des ennemis, mais à sensibiliser les gens aux inégalités. On m'accuse régulièrement de misogynie dans les commentaires, mais je ne fais que souligner des griefs. Des féminicides se produisent tous les jours, tandis que ma soi-disant « haine des hommes » est simplement gênante car elle perturbe l'ordre public, sans mettre ma vie en danger. La misogynie, en revanche, l'est. Et ce que beaucoup oublient : le patriarcat n'est pas seulement dangereux pour les femmes, mais aussi pour les hommes qui finissent en prison ou se suicident.
Êtes-vous frustré par la difficulté de ce travail éducatif ?Oui, parfois, cela me frustre énormément. Les hommes écrivent souvent qu'ils n'ont jamais vécu de telles choses – ce qui est logique, car ce sont des hommes. Mais ils nient ensuite les expériences de 99 autres femmes. Cela montre la profondeur des divergences de points de vue. Malgré tout, il y a aussi des discussions constructives, et même des hommes qui s'impliquent – même si c'est (encore) rare.
Y a-t-il déjà eu une situation où l’effet d’une action « microféministe » vous a surpris ?Oui, quand j'entends des blagues sexistes ou misogynes, je demande souvent simplement : « Qu'est-ce que tu veux dire par là ? » L'autre personne a souvent du mal à s'expliquer, ou essaie de me ridiculiser. Mais cela change la donne et fait comprendre à mon entourage que ce genre de blagues est inacceptable.
Votre livre recense 199 actions microféministes. Les menez-vous toutes à bien ?Avec ces 199 microféminismes, j'ai tenté de dépeindre une réalité extérieure à ma propre réalité ; chacun devrait et est libre de choisir ce qu'il veut. Et oui, j'ai parfois du mal à agir directement. Mais le simple fait de prendre conscience que nous, les femmes, avons appris à toujours rester discrètes et polies est un premier pas ; c'est-à-dire reconnaître que nous ne sommes pas impuissantes (mais souvent silencieuses). Je considère que susciter cette prise de conscience collective est une première étape particulièrement importante, porteuse de changement.
Et en même temps, il n'est pas si facile de rester optimiste quand on prend conscience de toutes les injustices. En êtes-vous capable ?C'est difficile pour moi aussi. J'ai trois enfants, et il est frappant de constater la persistance des stéréotypes de genre, par exemple dans les magasins de vêtements ou en milieu rural. Mon fils aussi est souvent pris pour une fille à cause de ses bottes roses en caoutchouc. Pourtant, c'est précisément pour cela que le microféminisme est important : pour susciter des changements au-delà de la « bulle ».
Pensez-vous que dans dix ans, le microféminisme changera sensiblement la vie quotidienne ?Oui, absolument. Quand je repense aux dix dernières années, beaucoup de choses ont changé. Des termes comme « charge mentale » ou « travail de soins » étaient alors peu connus. Aujourd'hui, ils existent et aident à identifier les problèmes. C'est un processus, mais je suis optimiste quant au fait que le microféminisme continuera de transformer le quotidien dans les années à venir.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre livre ?Surtout, prendre conscience que nous ne sommes pas seuls. En nous unissant et en échangeant des idées, le sentiment d'impuissance s'estompe. La colère peut aussi être productive, et elle n'a pas toujours besoin d'être forte. Parfois, un simple contact visuel avec une autre femme dans le métro suffit. Et deuxièmement : chacun de nous a la possibilité de faire une petite différence.
Brigitte
brigitte